En Afrique, « les violences faites aux femmes constituent une crise silencieuse »

 

Alors que l’Afrique reste l’un des continents les plus touchés par les féminicides, l’Union africaine a adopté le 14 février une convention visant à mettre fin à la violence à l’égard des femmes et des filles. L’aboutissement d’un long combat pour l’entrepreneure congolaise Danièle Sassou Nguesso, qui qualifie d’historique » ce nouveau cadre juridique. Entretien.

Plus qu’ailleurs dans le monde, les femmes africaines risquent au cours de leur vie de subir discriminations et violences. Après avoir longtemps été ignorée par les États africains, cette problématique s’est peu à peu imposée dans les agendas politiques. Le 14 février, l’Union africaine (UA) a ainsi adopté une Convention visant à mettre fin à la violence à l’égard des femmes et des filles.

En imposant un cadre juridique contraignant, le texte se veut à la hauteur des enjeux. En 2023, l’Afrique a enregistré les taux les plus élevés de féminicides commis par un partenaire intime ou un proche avec 21 700 victimes, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et l’ONU Femmes.

L’Afrique subsaharienne, qui représente les trois quarts du continent africain, reste particulièrement touchée par les agressions sexuelles et les viols. Selon des données de l’Unicef, plus d’une femme sur cinq vivant dans cette région a été victime d’une agression sexuelle ou d’un viol avant l’âge de 18 ans.

Pauvreté, inégalités, conflits armés, persistance de normes culturelles et sociales qui banalisent ces violences, les raisons de ce fléau sont nombreuses. À l’occasion de la journée internationale du droit des femmes, France 24 s’est entretenu avec Danièle Sassou Nguesso, entrepreneure et militante du droit des femmes en Afrique.

Gabonaise née à Dakar en 1976 d’un père médecin et d’une mère docteur en pharmacie, elle est l’auteure du livre « Genre et développement en République du Congo : promouvoir l’égalité homme-femme au profit de la croissance » (Éditions L’Harmattan).

Danièle Sassou Nguesso est la présidente de la fondation Sounga fondée en 2015.
Danièle Sassou Nguesso est la présidente de la fondation Sounga fondée en 2015. © Danièle Sassou Nguesso

La belle-fille du président congolais Denis Sassou Nguesso dirige également la fondation Sounga depuis 2015. Reconnue d’utilité publique et membre du Conseil économique et social des Nations unies, cette fondation a pour objectif de favoriser l’indépendance des femmes africaines à travers la formation ou encore l’accès au microcrédit.

Présidente pour le Congo du réseau AWLN (African Women Leaders Network), initiative de l’ONU et de l’Union Africaine, Danièle Sassou Nguesso a contribué à l’adoption de la convention de l’UA sur l’élimination des violences basées sur le genre. Elle évoque pour France 24 l’importance de ce nouveau cadre juridique, mais aussi le long chemin qu’il reste à parcourir.

France 24 : Qu’est-ce qui explique dans votre parcours votre engagement pour le droit des femmes en Afrique ?

Danièle Sassou Nguesso : J’ai effectué mes classes en grande majorité dans les pays occidentaux et je n’avais pas la nette impression d’être systématiquement confrontée à cette inégalité des genres. En revanche, quand je suis rentrée en Afrique en 2003 et que j’ai commencé mes activités professionnelles, j’évoluais dans un environnement essentiellement masculin et j’ai commencé à me poser des questions : pourquoi les femmes étaient si peu nombreuses à entreprendre ?

En 2016, j’ai intégré SciencesPo, où j’ai effectué mon master en politique et management du développement, et l’une des recommandations de ma formation était la mise en place d’une organisation portant un message d’inclusion des femmes dans les dynamiques économiques en Afrique centrale. Lasse d’attendre l’action des pouvoirs publics, j’ai décidé d’associer la société civile et d’apporter ma pierre à l’édifice.

France 24 : Notamment avec la fondation Sounga, lancée en 2015 et qui promeut l’entrepreneuriat féminin. Lutter contre les inégalités économiques, c’est l’une des clés pour faire reculer les violences faites aux femmes en Afrique ?

Il faut savoir que 24 % de femmes africaines entreprennent, contre 6 % sur le continent européen et 17 % en Amérique latine. C’est vrai que l’on parle généralement d’un entrepreneuriat de survie qui permet de pallier les besoins journaliers. À travers la fondation que j’ai créée, j’ai développé un certain nombre de programmes, dont le premier incubateur de la sous-région pour l’entrepreneuriat féminin où nous accueillons des porteuses de projets. Ensemble, nous passons en revue toutes les étapes de la création et de la formalisation de l’entreprise et nous donnons accès à un prêt d’amorçage qui permet à la femme de démarrer ses activités immédiatement.

Nous croyons véritablement à l’autonomisation comme vecteur d’émancipation chez la femme, cela lui donne le pouvoir de décision sur sa propre personne. C’est un cercle vertueux qui lui permettra ensuite d’éviter ce que nous appelons les violences domestiques, notamment celles liées à l’économie, qui sont très peu connues sur le continent.

Quand on parle de violence, tout le monde pense aux coups, aux mutilations génitales, au viol. Mais la violence économique existe en Afrique et elle reste très liée à la culture et à la tradition, ce qui fait que les femmes ont du mal à l’identifier. Si on continue à ne pas intégrer la moitié des forces vives sur le marché de l’emploi, nous n’atteindrons pas les objectifs de développement en Afrique sub-saharienne en général et au Congo en particulier.

Pensez-vous que la question des violences basées sur le genre est devenue partie intégrante de l’agenda politique en Afrique ces dernières années ?

Il y a un engagement croissant en faveur de l’égalité des sexes, comme l’a montré le protocole de Maputo [adopté en 2003], ratifié par 40 pays africains. Sur le continent, les victoires restent éparses. Le Rwanda est en pointe sur la question de la représentation politique avec 61 % de femmes au Parlement. Le Congo-Brazzaville a adopté la loi la plus avant-gardiste contre les violences faites aux femmes. La Côte d’Ivoire a mis en place le premier véritable fonds d’investissement en faveur des femmes. Les lois existent, on s’en félicite. Mais il va falloir les appliquer pour que cela change véritablement la vie des femmes.

En Afrique, les violences faites aux femmes constituent une crise silencieuse avec des taux alarmants dans plusieurs régions. Selon l’ONU, une femme sur trois en Afrique subit des violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie : violences domestiques, mariages forcés, mutilations génitales, violences sexuelles en période de conflit – comme actuellement en République démocratique du Congo, où le viol est utilisé comme arme de guerre.

J’en profite ici pour déplorer qu’au sein de toutes les médiations sur la RD Congo, aucune femme ne fait partie du panel alors qu’elles sont les premières victimes. Tant que nous resterons enfermés dans des cercles masculins sans impliquer les véritables actrices de la paix, toutes ces initiatives resteront de la diplomatie de façade.

Vous avez récemment contribué à l’adoption d’une convention par l’Union africaine visant à mettre fin à la violence à l’égard des femmes et des filles. En quoi ce texte est-il une avancée pour le continent ?

J’appartiens à un formidable réseau d’influence lancé à l’initiative de l’Union africaine et des Nations unies qui s’appelle l’African Women Leaders Network. Il était important pour nous de nous doter d’un cadre juridique à l’échelle continentale, pour que tout le monde pense de la même manière. La particularité de cette convention, c’est qu’elle fixe des engagements clairs pour les États membres en leur imposant des obligations en matière de prévention, de protection et de sanctions contre les auteurs de violences. Et elle va plus loin, puisqu’elle intègre des mécanismes de suivi et d’évaluation, ce qui est crucial pour garantir une application effective.

La convention mentionne également le cyber harcèlement qui est encore une notion très peu comprise, tout comme la violence économique. Nous avons également demandé que soient intégrés au sein de programmes scolaires en cycle d’études primaire, la question des violences faites aux femmes, car il est important de déconstruire le genre très tôt dans l’esprit de nos enfants. Désormais, le texte doit être adopté au niveau national par les États membres. Si 15 % des pays africains ratifient cette convention, elle sera imposée à l’ensemble des pays membres de l’UA. C’est véritablement un moment historique pour l’Afrique.

france24

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