130 milliards pour oublier l’échec ? Le monde rural attend des comptes, pas des chiffres

Nouvelle saison, même rengaine. Le gouvernement sénégalais vient d’annoncer en fanfare un budget de 130 milliards de FCFA pour la campagne agricole 2025-2026. Dix milliards de plus que l’an dernier. Un chiffre impressionnant, mais qui, loin d’inspirer la confiance, alimente l’inquiétude. Car la campagne 2024-2025, pourtant abondamment financée à hauteur de 120 milliards, a été un échec retentissant et personne, jusqu’ici, n’a daigné en faire le bilan.
Le gouvernement avait promis une révolution dans la gestion des intrants : digitalisation du système, implication des forces de sécurité, meilleure traçabilité. Sur le papier, tout était brillant. Mais dans les champs, les paysans ont vu passer la saison comme une mauvaise blague. Semences distribuées en retard ou de mauvaise qualité, engrais vendus au noir, matériels inadaptés, et comme toujours, des retards de paiement aux fournisseurs. Résultat : des récoltes faibles, une productivité en recul, et une désillusion profonde dans le monde rural.
Comment justifier que l’on injecte 130 milliards de FCFA pour la campagne 2025-2026 sans avoir présenté un audit rigoureux de l’utilisation des fonds de l’année précédente ? Où sont passés les 120 milliards de 2024 ? Qui en a réellement bénéficié ? Quels impacts mesurables sur les rendements agricoles ? Silence radio. Pire : les opérateurs attendent encore le règlement des arriérés de 2021 à 2023. La dette intérieure enfle, pendant que l’État multiplie les annonces creuses.
En augmentant chaque année l’enveloppe allouée à l’agriculture sans réforme de fond, le gouvernement entretient un système clientélisme, opaque et inefficace. Ce n’est pas le volume d’argent qui fera pousser le mil ou l’arachide, mais la rigueur dans la gestion, l’écoute des producteurs, et la transparence dans l’attribution des ressources. En l’état, ces milliards ressemblent à une perfusion politique, pas à une stratégie agricole.
L’agriculture sénégalaise ne peut plus être traitée comme un terrain de promesses électoralistes. Elle représente le socle de notre souveraineté alimentaire, l’avenir de nos terroirs, et la dignité de millions de Sénégalais. Les producteurs, les éleveurs, les transformateurs, réclament autre chose que des conférences de presse et des bulletins météo favorables : ils veulent des résultats, des comptes, et surtout du respect.
L’État sénégalais a encore une carte à jouer. Mais elle passe par un virage clair : publier les audits de la campagne 2024-2025, assainir la chaîne de distribution, sanctionner les dérives, et associer les agriculteurs à la prise de décision. Sans quoi, les milliards continueront de s’évaporer dans les sables de la mauvaise gouvernance. Car à force de semer des milliards sans méthode, on récolte la colère.
Mamadou Cissé

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